Chapitre 1
42 minutes.
Je m’appelle Maxime Hugo. Ne
cherchez pas, c’est l’association la plus insignifiante que vous pourriez
trouver entre un prénom et nom. J’en veux beaucoup à mes parents. Physiquement,
je ne suis pas spécialement grand ni même particulièrement musclé. J’ai un épi dans les cheveux qui m’oblige à prendre plus d’un quart d’heure le matin
pour me coiffer. Côté caractère, je suis un éternel insatisfait qui se prend la tête à peu près dix fois par jour. Mes goûts culturels sont assez
aléatoires. J’aime les films compliqués où l’on ne comprend pas le scénario,
les histoires d’amours qui finissent bien et le cinéma d’action plutôt trash.
J’écoute de tout du moment que cela me plait. Des envies qui oscillent entre un
son agressif et violent ou une douce mélodie d’ambiance. J’aime m’habiller avec
style même si je ne trouve pas grand-chose correspondant à mes critères. Je
suis difficile concernant mon alimentation mais grand spécialiste des pâtes. Je
les assaisonne à toutes les sauces et de toutes les manières possibles.
Voilà à peu près tout ce que vous
devez savoir sur mon CV.
38 minutes.
Aujourd’hui il fait beau. Un ciel
bleu azur sans nuage accompagné d’un soleil
d’été indien qui bronze gentiment la peau au bout de cinq minutes. J’ai ouvert
en grand les fenêtres de mon appartement situé au 4eme étage d’une belle avenue
19eme. De dehors remonte les rires des enfants et le murmure des passants.
J’entends des chiens aboyés, le tramway signaler son arrêt. Dans le salon, la
musique s’envole à travers un équipement audio 3.1 dernier cri. C’est ma chanson
préférée, Dust in the Wind du groupe Kanzas. J’ai toujours pensé que les
paroles ne racontaient que du vent. Avec des arpèges aussi parfaits, j’étais bien
obligé de trouver le morceau excellent.
32 minutes.
Je me suis lavé il y’a quelques
minutes avec un gel douche bio de la marque Biowood, une des rares cosmétiques qui
ne teste pas sur les animaux. J’ai revêtu mon plus beau costume et j’ajuste
maintenant ma cravate devant le miroir. Je prends mon temps pour que tout soit irréprochable
à l’extérieur comme à l’intérieur. Instinctivement ou pas, je regarde pour la
énième fois l’état de la chambre à travers le reflet. Impeccable. La couette du
lit est parfaitement tendue, le sol et le mobilier sans trace de poussière ou
de graisse, rien de superflu sur la table de chevet. Je finis de serrer le nœud
coulant autour de mon cou, puis je m’écarte et étire un peu la chemise repassée
quelques minutes auparavant. Je suis contracté, le cœur palpite, mes gestes
sont hésitants et pourtant la plénitude me gagne à mesure que le temps avance.
La raison de ma nervosité est
simple. Dans moins d’une demi-heure, j’ai rendez-vous avec le moment le plus
important de toute mon existence. Je pèse consciemment mes mots. Ma destinée se
joue sur ces quelques secondes. Rien, absolument aucun détail ne doit être
laissé au hasard. La moindre surprise peut à tout moment faire voler en éclat
un plan préparé par mes soins depuis une éternité.
Encore 25 minutes devant moi.
Je saisis un téléphone portable à carte posé sur mon bureau et je
contacte le seul numéro disponible dessus. Une femme répond aussitôt. Sa voix
est grave et langoureuse.
_ Je vous écoute.
_Je suis
partant. Vous pouvez lancer l’opération. Je serai sur place ce soir pour
exécuter ma part du contrat.
_ Parfait.
Pas un mot de plus. La
communication coupe aussitôt. Je souris. Je prends ma tablette numérique et
accède à mon mail. J’ai trois courriers à écrire. Le premier concerne la
responsable d’un petit chenil de banlieue, le deuxième est destiné au cabinet
du ministère de l’économie et le troisième est envoyé à Green Action, l’une des
ONG internationales les plus controversée qui soit.
Plus que 18 minutes.
Curieusement j’ai soif. Je me
sers un verre d’eau et j’en profite pour regarder une dernière fois mon chez
moi. J’ai aimé être ici. Un appartement 4 pièces très bien situé un peu en
retrait du centre-ville. Il n’y a pas une profusion de meubles dedans à part le
nécessaire vitale. J’ai aimé cette simplicité, ce style Feng Shui que je me
suis imposé depuis bien longtemps. La musique est passée sur Sting depuis 2
titres. Russian laisse planer ses notes nostalgiques. Une chanson qui me touche
particulièrement. Mes yeux se posent sur la Box Internet. L’horloge m’indique
que le temps s’égrène un peu plus.
11 minutes.
Je ferme les fenêtres, je ne sais
pas trop pourquoi. Peut-être pour le locataire suivant. Je vérifie chaque
pièce. Tout est propre, immaculé. Cette sensation de perfection me terrifie. Ce
côté strict ne me ressemble absolument pas. Il était pourtant nécessaire.
7 minutes.
Il est l’heure d’y aller. Pas de
sac, pas d’affaire. Simplement une petite veste anthracite et les deux enveloppes
que j’ai placées sur le meuble à chaussure de l’entrée. Je descends les
escaliers calmement. A mesure que les pas me rapprochent du rendez-vous, il me semble
à la fois légers et extrêmement lourds. Une étrange sensation que je n’avais
jamais ressenti jusqu’alors. En traversant le hall de l’immeuble je croise
comme prévu la gardienne. Une veuve quadragénaire qui espionne quotidiennement
les habitants. Elle essaye de me parler, mais j’écourte tout de suite la
conversation. Je lui tends la première lettre. Elle est totalement surprise. Elle
le sera encore plus dans moins de 3 minutes.
J’avance jusqu’au bord du
trottoir. Je respire un grand coup. Le soleil commence à me mordre le visage.
Je tire la photo contenue dans la deuxième enveloppe. C’est un portrait de
femme en noir et blanc. La fille est brune, les cheveux courts légèrement
ondulés, le sourire à la fois large et énigmatique, les yeux pétillants cachés
derrière des lunettes rectangles. L’expression de la femme est contradictoire
avec cette assurance dans le regard étrangement fébrile. Il y’a quelque chose
d’inaccessible mais diablement attirant dans ce cliché. Je ne l’ai jamais
rencontré et elle ne sait absolument pas qui je suis. Nous nous connaissons pourtant
depuis la nuit des temps. Je replace la photo et la glisse dans la veste près
de mon cœur.
1 minute.
Je tourne la tête vers la gauche.
Au fond de l’avenue, une berline allemande noire aux vitres teintées file à
bonne vitesse dans ma direction. Mon rendez-vous. A son bord, sur le siège
arrière gauche, un poids lourd de l’édition accompagné de trois personnes aussi
méprisables les unes que les autres. La berline roule trop vite et dépasse
de 40 km/heure la limitation routière. Ils sont pressés comme je l’avais espéré.
24 secondes. Je respire encore
une fois. L’air est légèrement frais. La chaleur du soleil me rassure. Il fait
beau.
12 secondes avant mon rendez-vous.
Je calme les palpitations de mon cœur sur le point d’exploser d’un moment à
l’autre.
10 secondes. Je ferme les yeux.
6 secondes. J’allonge une
première jambe.
4 secondes. Je penche mon corps
en avant.
2 secondes. Je détends mes
muscles. Il fait beau, tout va bien, tout est parfait.
0 seconde. Impact. La berline me
percute de plein fouet. La calandre me brise brutalement le péroné dans un
horrible craquement. Le genou se disloque en une centaine de morceaux. Mon
buste penche violemment vers la gauche coupé par la puissance de l’impact. Mon
bras percute le capot puis ma hanche et enfin ma cuisse. Mon crâne tape le pare-brise qui explose sous la violence de la projection. Pour finir, mon corps
est propulsé en l’air comme un vulgaire chewing-gum.
Dans la demi-seconde qui va
suivre, ma tête heurtera le bitume de la route, éclatera et me tuera sur le
coup. Mais avant de mourir, il me reste
encore deux ou trois « trucs » à vous expliquer.
Sachez que ma vie n’est pas tout
à fait la vôtre. Ma profession non plus. J’avais un don. Un don très particulier.
J’étais capable de lire votre Karma. Chaque action de notre existence entraîne une réaction sur la grande toile d’araignée qui façonne notre destin. Des
hommes, des femmes, des enfants, des rois, des pauvres, des dictateurs, des
célébrités, des humains de tout bord m’ont employé depuis des siècles pour espérer
vivre une existence de rêve dans leurs prochaines vies.
Je m’en moque éperdument. Toutes ces histoires n’ont fait que traverser mes vies, de simples
illusions, rien d’autre. « Elle et
moi », nous avons passé des dizaines d’existences à nous rapprocher sans
jamais parvenir à nous aimer. J’espère que la prochaine sera la bonne mais
aussi la dernière. Parfois pour gagner il faut savoir perdre et croire en son
destin. Alors aujourd’hui je meurs pour que nous puissions vivre ensemble
demain…
Une histoire d'amour ? Je n'avais pas pensé à ça.
RépondreSupprimerLe compte à rebours, je ne se sais pas... je pense que tu l'as mis pour attirer l'attention du lecteur et lui faire comprendre qu'il va se passer un truc. Pourtant, j'ai bien plus été intéressé par ses divers faits et gestes. Le passage au futur sonne comme "hors" du récit.
Merci !
RépondreSupprimerIntéressant je n'y avais pas pensé que cela pouvait casser le rythme. Je voulais avant tout surprendre sur la fin avec cette idée de mort qui débouche en réalité sur la vie. Le futur permet aussi d'introduire l'histoire quelque part non? mais je note vraiment la remarque de faire attention à ne pas trop casser et sortir le lecteur hors du récit. Pour le compte à rebours, c'est un artifice que j'avais utilisé dans une bd ça permet de faire monter la tension assez facilement avec l'inconscience qui se dit : ok il se passe quoi à la fin, je veux savoir.
Enfin vui, une histoire d'amour. Déjà parce que c'est je crois la seule chose à raconter qui parle à tous. Comme dans une chanson finalement. Le coeur, les histoires de coeur et de sentiments. Puis je c'est aussi une facilité, ce dont je sais le mieux parler.
Pas de critique technique pour ma part, j'ai lu, je me suis laissé embarquer, jusqu'au bout et j'ai envie de lire la suite.....
RépondreSupprimerConcernant le compte à rebours je trouve ça très efficace !
Bravo
Encore...
K.
Merci ! Je vais essayer de surprendre à chaque chapitre tout en essayant de garder la dynamique ! rendez vous dimanche prochain pour la suite !
RépondreSupprimerPas mal ce 1er chapitre.
RépondreSupprimerLe compte à rebours donne de l'intensité au récit.
Le seul bémol à mon avis est que tu annonces : "Dans moins d’une demi-heure, j’ai rendez-vous avec le moment le plus important de toute mon existence." à la 32ème minute.
Sans ces petites références au rendez-vous, on serait vraiment tenu en haleine jusqu'au bout.
Ah ? ok ok bon si un jour c'est édité on corrigera le bug ^^
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