dimanche 22 septembre 2013

Karma Chapitre 1


Chapitre 1

42 minutes.

Je m’appelle Maxime Hugo. Ne cherchez pas, c’est l’association la plus insignifiante que vous pourriez trouver entre un prénom et nom. J’en veux beaucoup à mes parents. Physiquement, je ne suis pas spécialement grand ni même particulièrement musclé. J’ai un épi dans les cheveux qui m’oblige à prendre plus d’un quart d’heure le matin pour me coiffer. Côté caractère, je suis un éternel insatisfait qui se prend la tête à peu près dix fois par jour. Mes goûts culturels sont assez aléatoires. J’aime les films compliqués où l’on ne comprend pas le scénario, les histoires d’amours qui finissent bien et le cinéma d’action plutôt trash. J’écoute de tout du moment que cela me plait. Des envies qui oscillent entre un son agressif et violent ou une douce mélodie d’ambiance. J’aime m’habiller avec style même si je ne trouve pas grand-chose correspondant à mes critères. Je suis difficile concernant mon alimentation mais grand spécialiste des pâtes. Je les assaisonne à toutes les sauces et de toutes les manières possibles.
Voilà à peu près tout ce que vous devez savoir sur mon CV.

38 minutes.

Aujourd’hui il fait beau. Un ciel bleu azur sans nuage  accompagné d’un soleil d’été indien qui bronze gentiment la peau au bout de cinq minutes. J’ai ouvert en grand les fenêtres de mon appartement situé au 4eme étage d’une belle avenue 19eme. De dehors remonte les rires des enfants et le murmure des passants. J’entends des chiens aboyés, le tramway signaler son arrêt. Dans le salon, la musique s’envole à travers un équipement audio 3.1 dernier cri. C’est ma chanson préférée, Dust in the Wind du groupe Kanzas. J’ai toujours pensé que les paroles ne racontaient que du vent. Avec des arpèges aussi parfaits, j’étais bien obligé de trouver le morceau excellent.

32 minutes.

Je me suis lavé il y’a quelques minutes avec un gel douche bio de la marque Biowood, une des rares cosmétiques qui ne teste pas sur les animaux. J’ai revêtu mon plus beau costume et j’ajuste maintenant ma cravate devant le miroir. Je prends mon temps pour que tout soit irréprochable à l’extérieur comme à l’intérieur. Instinctivement ou pas, je regarde pour la énième fois l’état de la chambre à travers le reflet. Impeccable. La couette du lit est parfaitement tendue, le sol et le mobilier sans trace de poussière ou de graisse, rien de superflu sur la table de chevet. Je finis de serrer le nœud coulant autour de mon cou, puis je m’écarte et étire un peu la chemise repassée quelques minutes auparavant. Je suis contracté, le cœur palpite, mes gestes sont hésitants et pourtant la plénitude me gagne à mesure que le temps avance.
La raison de ma nervosité est simple. Dans moins d’une demi-heure, j’ai rendez-vous avec le moment le plus important de toute mon existence. Je pèse consciemment mes mots. Ma destinée se joue sur ces quelques secondes. Rien, absolument aucun détail ne doit être laissé au hasard. La moindre surprise peut à tout moment faire voler en éclat un plan préparé par mes soins depuis une éternité.

Encore 25 minutes devant moi.
Je saisis un téléphone portable à carte posé sur mon bureau et je contacte le seul numéro disponible dessus. Une femme répond aussitôt. Sa voix est grave et langoureuse.
_ Je vous écoute.
_Je suis partant. Vous pouvez lancer l’opération. Je serai sur place ce soir pour exécuter ma part du contrat.
_ Parfait.
Pas un mot de plus. La communication coupe aussitôt. Je souris. Je prends ma tablette numérique et accède à mon mail. J’ai trois courriers à écrire. Le premier concerne la responsable d’un petit chenil de banlieue, le deuxième est destiné au cabinet du ministère de l’économie et le troisième est envoyé à Green Action, l’une des ONG internationales les plus controversée qui soit.
Plus que 18 minutes.
Curieusement j’ai soif. Je me sers un verre d’eau et j’en profite pour regarder une dernière fois mon chez moi. J’ai aimé être ici. Un appartement 4 pièces très bien situé un peu en retrait du centre-ville. Il n’y a pas une profusion de meubles dedans à part le nécessaire vitale. J’ai aimé cette simplicité, ce style Feng Shui que je me suis imposé depuis bien longtemps. La musique est passée sur Sting depuis 2 titres. Russian laisse planer ses notes nostalgiques. Une chanson qui me touche particulièrement. Mes yeux se posent sur la Box Internet. L’horloge m’indique que le temps s’égrène un peu plus.

11 minutes.

Je ferme les fenêtres, je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être pour le locataire suivant. Je vérifie chaque pièce. Tout est propre, immaculé. Cette sensation de perfection me terrifie. Ce côté strict ne me ressemble absolument pas. Il était pourtant nécessaire. 

7 minutes.

Il est l’heure d’y aller. Pas de sac, pas d’affaire. Simplement une petite veste anthracite et les deux enveloppes que j’ai placées sur le meuble à chaussure de l’entrée. Je descends les escaliers calmement. A mesure que les pas me rapprochent du rendez-vous, il me semble à la fois légers et extrêmement lourds. Une étrange sensation que je n’avais jamais ressenti jusqu’alors. En traversant le hall de l’immeuble je croise comme prévu la gardienne. Une veuve quadragénaire qui espionne quotidiennement les habitants. Elle essaye de me parler, mais j’écourte tout de suite la conversation. Je lui tends la première lettre. Elle est totalement surprise. Elle le sera encore plus dans moins de 3 minutes.
J’avance jusqu’au bord du trottoir. Je respire un grand coup. Le soleil commence à me mordre le visage. Je tire la photo contenue dans la deuxième enveloppe. C’est un portrait de femme en noir et blanc. La fille est brune, les cheveux courts légèrement ondulés, le sourire à la fois large et énigmatique, les yeux pétillants cachés derrière des lunettes rectangles. L’expression de la femme est contradictoire avec cette assurance dans le regard étrangement fébrile. Il y’a quelque chose d’inaccessible mais diablement attirant dans ce cliché. Je ne l’ai jamais rencontré et elle ne sait absolument pas qui je suis. Nous nous connaissons pourtant depuis la nuit des temps. Je replace la photo et la glisse dans la veste près de mon cœur.

1 minute.

Je tourne la tête vers la gauche. Au fond de l’avenue, une berline allemande noire aux vitres teintées file à bonne vitesse dans ma direction. Mon rendez-vous. A son bord, sur le siège arrière gauche, un poids lourd de l’édition accompagné de trois personnes aussi méprisables les unes que les autres. La berline roule trop vite et dépasse de 40 km/heure la limitation routière. Ils sont pressés comme je l’avais espéré. 

24 secondes. Je respire encore une fois. L’air est légèrement frais. La chaleur du soleil me rassure. Il fait beau.

12 secondes avant mon rendez-vous. Je calme les palpitations de mon cœur sur le point d’exploser d’un moment à l’autre.

10 secondes. Je ferme les yeux.

6 secondes. J’allonge une première jambe.

4 secondes. Je penche mon corps en avant.

2 secondes. Je détends mes muscles. Il fait beau, tout va bien, tout est parfait.

0 seconde. Impact. La berline me percute de plein fouet. La calandre me brise brutalement le péroné dans un horrible craquement. Le genou se disloque en une centaine de morceaux. Mon buste penche violemment vers la gauche coupé par la puissance de l’impact. Mon bras percute le capot puis ma hanche et enfin ma cuisse. Mon crâne tape le pare-brise qui explose sous la violence de la projection. Pour finir, mon corps est propulsé en l’air comme un vulgaire chewing-gum.  

Dans la demi-seconde qui va suivre, ma tête heurtera le bitume de la route, éclatera et me tuera sur le coup. Mais avant de mourir, il me reste encore deux ou trois « trucs » à vous expliquer.

Sachez que ma vie n’est pas tout à fait la vôtre. Ma profession non plus. J’avais un don. Un don très particulier. J’étais capable de lire votre Karma. Chaque action de notre existence entraîne une réaction sur la grande toile d’araignée qui façonne notre destin. Des hommes, des femmes, des enfants, des rois, des pauvres, des dictateurs, des célébrités, des humains de tout bord m’ont employé depuis des siècles pour espérer vivre une existence de rêve dans leurs prochaines vies.

Je m’en moque éperdument. Toutes ces histoires n’ont fait que traverser mes vies, de simples illusions, rien d’autre.  « Elle et moi », nous avons passé des dizaines d’existences à nous rapprocher sans jamais parvenir à nous aimer. J’espère que la prochaine sera la bonne mais aussi la dernière. Parfois pour gagner il faut savoir perdre et croire en son destin. Alors aujourd’hui je meurs pour que nous puissions vivre ensemble demain…


6 commentaires:

  1. Une histoire d'amour ? Je n'avais pas pensé à ça.

    Le compte à rebours, je ne se sais pas... je pense que tu l'as mis pour attirer l'attention du lecteur et lui faire comprendre qu'il va se passer un truc. Pourtant, j'ai bien plus été intéressé par ses divers faits et gestes. Le passage au futur sonne comme "hors" du récit.

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  2. Merci !

    Intéressant je n'y avais pas pensé que cela pouvait casser le rythme. Je voulais avant tout surprendre sur la fin avec cette idée de mort qui débouche en réalité sur la vie. Le futur permet aussi d'introduire l'histoire quelque part non? mais je note vraiment la remarque de faire attention à ne pas trop casser et sortir le lecteur hors du récit. Pour le compte à rebours, c'est un artifice que j'avais utilisé dans une bd ça permet de faire monter la tension assez facilement avec l'inconscience qui se dit : ok il se passe quoi à la fin, je veux savoir.

    Enfin vui, une histoire d'amour. Déjà parce que c'est je crois la seule chose à raconter qui parle à tous. Comme dans une chanson finalement. Le coeur, les histoires de coeur et de sentiments. Puis je c'est aussi une facilité, ce dont je sais le mieux parler.

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  3. Pas de critique technique pour ma part, j'ai lu, je me suis laissé embarquer, jusqu'au bout et j'ai envie de lire la suite.....
    Concernant le compte à rebours je trouve ça très efficace !
    Bravo
    Encore...

    K.

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  4. Merci ! Je vais essayer de surprendre à chaque chapitre tout en essayant de garder la dynamique ! rendez vous dimanche prochain pour la suite !

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  5. Pas mal ce 1er chapitre.
    Le compte à rebours donne de l'intensité au récit.
    Le seul bémol à mon avis est que tu annonces : "Dans moins d’une demi-heure, j’ai rendez-vous avec le moment le plus important de toute mon existence." à la 32ème minute.
    Sans ces petites références au rendez-vous, on serait vraiment tenu en haleine jusqu'au bout.

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  6. Ah ? ok ok bon si un jour c'est édité on corrigera le bug ^^

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