Chapitre 3
5 ans avant ma mort.
Le gant s’écrase lourdement sur
ma joue et percute mon nez dans la demi-seconde qui suit. Sous la pression du
choc, je lâche un grognement de désapprobation
en repositionnant ma garde haute. Une erreur. Un pas chassé me frappe aussitôt
la cuisse et m’oblige à plier le corps. J’offre une
ouverture franche sur la droite. Je cherche aussitôt à rééquilibrer. Trop tard.
Un crochet intérieur me tambourine puissamment le flanc, puis c’est un gauche
avec une rapidité inattendue.
J’ai le souffle coupé, les
muscles en feu. Me sortir de là rapidement. Une seule solution. Reculer
suffisamment pour reprendre mes esprits et jauger de la situation. J’y parviens
maladroitement. Je n’obtiens que quelques instants de répit avant le prochain
assaut.
En face de moi, une femme. Pas
n’importe laquelle. 25 ans, brune, les cheveux mi-long ondulés, le visage un
brin juvénile, le regard du guerrier qui maîtrise son combat. Depuis exactement
une minute et trente secondes je tente de répondre à son engagement. Elle est
extrêmement puissante, une dextérité au-dessus de la moyenne, une technique à
toute épreuve. Très peu de déchets dans ses attaques, des points faibles réduits
au strict minimum. Elle a imposé son rythme, maîtrise son style, anticipe
chacune de mes feintes. Il me reste encore trente secondes à tenir. Je n’ai aucune ouverture pour riposter et
frapper.
Autour de notre ring, trois
autres petites arènes et différents ateliers de frappe. La salle de sport est
assez minimaliste mais suffisamment grande pour contenir un club de boxe française,
la savate. Peu de personnes connaissent ce lieu. Il n’y a ici que des experts,
des anciens ou futurs champions.
Dans cette vie, j’aime le sport.
Non pas pour les frasques des stars de foot ou pour les performances hors du
commun d’un athlète. J’aime le sport pour une toute autre raison. Pour ce
moment si particulier ou le temps s’écoule comme une illusion. L’esprit lâche,
il n’est plus vraiment là. Je recherche constamment cet état. Le cerveau ne
réfléchit plus, mais ressent. Plus d’idées noires, plus de réflexions, plus
d’attente. Rien que le présent. C’est aussi ce que je vis quand je meurs…
Ma « sparring partner »
flaire mon hésitation. Elle comprend que j’analyse, que je cherche une entrée
dans sa défense. Elle comprend aussi que
je réfléchis trop quand il est question de feeling. Trois pas, une feinte de
corps habilement placée et elle m’expédie un fouetté de la jambe droite dans
les côtes, immédiatement suivi d’un
gauche. Une petite ouverte. Je riposte aussitôt en m’écartant sur la
droite et en plaçant à mon tour un crochet. Je touche. Pas suffisamment. Elle
réplique par le même geste. J’esquive encore mais son chassé me prend une
nouvelle fois la cuisse, puis un double fouetté dans l’abdomen pour finir par
une droite.
Je me tords de douleurs. Je n’ai
rien pu faire.
Ding. Fin du combat. La prochaine
fois je réfléchirai un peu avant de me mesurer à une championne. 4 mois
d’entrainements intensifs, ce n’est pas assez. Vous vous demandez ce que je
fais ici peut être ? Et pourquoi je m’inflige des corrections ? Je
vous l’ai déjà dit. Tout ce que je fais, je le fais pour elle, pour nous. Rien
n’est laissé au hasard.
Je salue ma partenaire. Elle me
sourit. Le rictus de la victoire, de celle qui sait ce qu’elle veut et comment
elle l’obtient. Je ne l’a connais pas depuis longtemps. Je sais qu’elle a eu
une enfance difficile. Je sais aussi qu’elle a toujours eu de la volonté. Le
genre à prendre son destin en main. Une famille compliquée, une vie toute
tracée. Il lui a fallu beaucoup de courage pour casser le cycle parental. Énormément même pour parvenir à cette vie. Elle a réussi. Cela se sent dans son style de
combat. Il y’a de la passion, de la force, du respect. Elle est exceptionnelle
dans un son élément.
Sur le ring adjacent, un autre
duel prend fin. Deux colosses s’y affrontaient. L’un est chauve, le visage
taillé à coup de serpe, les muscles gonflés aux stéroïdes. Malgré son allure à
vous arracher deux bras pour un regard mal placé, le type parait sympathique
comparé au deuxième challenger. Plus
sec, plus petit, moins impressionnant physiquement, l’homme dégage une violence
rarement vue. Ses coups ne sont pas que puissants et bien ajustés. Ils sont
vicieux et sournois. Il frappe constamment sur le point faible, ne boxe qu’avec
des feintes, tout en arrogance. Il ne domine pas. Il ne respecte pas, il
écrase. La fin du décompte temporel doit coïncider avec le chaos de son
adversaire. Son regard est fiévreux de haine et de violence.
Mes affaires sont posées sur le banc, juste à côté de ce monstre. Je
prends ma serviette calmement, m’essuie les cheveux, enlève la sueur de mon
cou, de mon visage. Je regarde du coin de l’œil ma partenaire. Elle me sourit,
elle est satisfaite du combat. Je l’aime bien. Elle a un truc.
_Alors ça fait quoi de se faire défoncer par une
gonzesse ?
La voix est aiguë, crispante. La face de haine vient de s’asseoir sur
le banc.
_Tu veux essayer ? Un agréable moment je t’assure.
J’essaye d’être sûr de moi. Ne pas baisser ma garde, quitte à prendre
un coup au passage. Je riposterai du mieux que je peux.
_Tu te crois malin ?
_Le refus est une marque de faible.
_Ne me prends pas
pour un con. Je sais qui tu es. Tu prends tes affaires, tu te casses d’ici, tu
oublies l’adresse du club, tu effaces mon nom de ta mémoire.
_Et si je
refuse ?
_Ça fait des
semaines que tu te renseignes sur moi. J’aime pas les fouilles merde dans ton
genre. Tu as deux solutions et trente secondes pour en prendre une. Tu dégages
ou tu dégages…
_Si tu sais qui
je suis, tu sais donc de quoi je suis capable.
_Des conneries.
_Pourtant, tu
sais qui je suis…
_Personne ne peut
savoir ce genre de choses. On vit et on meurt, point. Y’a rien de l’autre côté.
Te reste 15 secondes.
_Et si je te dévoile ce que tu as vécu
et ce que tu vas vivre, tu me croiras après ?
Le type me regarde méchamment. Un regard que je connais par cœur. Le
regard de celui qui craint que je ne découvre les pires de ses secrets. Il
crispe ses muscles, empoigne sa serviette et la passe sur son visage.
_5 secondes.
_J’ai
choisi, je reste…
Je mesure mes paroles comme les
gestes d’un combat. Il est troublé. Il a
baissé mentalement ses défenses. J’ai feinté pour prendre le dessus. Je cherche
l’ouverture. Il va céder. Sa curiosité est trop forte. Il veut savoir. A moi d’en
profiter pour placer mes coups. Je n’aurai pas d’autres opportunités pour
parvenir à mes fins.
D’un geste sûr, je pince violemment l’encolure de son cou à la manière de Spock dans Startreck. Je pourrais faire
n’importe quels gestes, cela reviendrait au même. Mais j’aime cet effet de
surprise. J’ai absolument besoin de cet instant spontané. Le seul qui permette
d’accès au « moi ». Je lis dans son regard l’incompréhension. Il
sait que je vois maintenant. L’acte ne prend qu’une à deux secondes pour vous.
Pour moi c’est un long, un très long voyage dans l’univers du ralenti.
Ses vies ont débuté dans une
caverne. Il fait froid, c’est l’hiver, il n’est âgé que de 2 ans. Il est recouvert d’une épaisse couverture fabriquée avec la peau d’un vieil ours. Il a très faim et ne parvient pas à
le dire à ses parents. Cela fait 2 jours que le père n’a rien trouvé. Sur sa
gauche il cherche à faire du feu en utilisant les éclats de deux silex. L’homme
a peur pour sa famille. Le garçon mourra pourtant dans la nuit, emporté par la
fièvre avec la colère de n’avoir pu exprimer sa souffrance.
Après plusieurs existences sans intérêts, je le retrouve aux confins
de la campagne de l’attique. Il est vieux, seul, mal aimé, rempli de haine. Il se
vengera. Je le croise en Italie vers 1496, il est en guerre. Il est abandonné par
les siens. On lui coupe violement la
jambe. Il meurt rongé par la gangrène. Nord de l’écosse. 1652. Un simple paysan
d’un petit clan. Il est lynché à mort devant sa compagne et ses enfants par des
indépendantistes. C’est sa femme qui l’a trahi. Plusieurs autres vies où se mélangent un peu de tout. Chine 1894. Les japonais sont
arrivés à pékin. Ils essayent de préserver l’art du Wing Chu. Ses plus jeunes
disciples sont massacrés, il meurt fusillé. 4 balles dans la tête.
C’est cet homme rempli de haine, souffrant d’une injustice accumulée
depuis des siècles qui est assis à côté de moi. Je retire aussitôt mon emprise.
Son regard reprend sa violence, ses défenses sont de nouveaux en place. Son
bras me pousse brusquement.
_Espèce de
connard ! Qu’est-ce que tu m’as fait ?
Il cherche à reprendre le contrôle du combat. Je dois tout de suite
enchainer. Surtout ne lui laisser aucune chance. Le prendre à son propre jeu.
Je dois l’écraser.
_Tu as une
faiblesse récurrente à la jambe droite, ton enfance a été un calvaire et tu as
du tuer ou tabasser ton père. Tu emmerdes le monde. Tu violentes toujours les
femmes, mais personne ne l’a jamais su. Tu as plusieurs fois trahi tes rares
amis et tu as des maux de tête récurrents. A mon avis, si tu continues sur ce
chemin, dans ta prochaine vie tu seras vraiment dans la merde…
L’homme devient blanc, glaciale. Un froid polaire à vous pétrifier le
sang. Je me tiens prêt à toute
éventualité. Contre toute attente, il se lève sans un mot et se dirige vers les
vestiaires. J’ai regardé instinctivement ma partenaire. Elle m’a observé
curieusement pendant toute la conversation. J’imagine son état. Elle se demande
ce que j’ai bien pu raconter. Elle ne comprend absolument rien. Elle déteste ce
type. Elle sent un danger, elle me le fait comprendre avec un regard noir. J’ai
joué avec le feu. Je viens de me brûler pour mon unique but. Elle cherche
à me protéger. Je l’aime vraiment beaucoup cette fille. Elle se lève en colère et disparaît elle aussi dans les vestiaires.
Je range calmement mes affaires. Mon esprit est tendu au maximum. Je
surveille mes arrières. Je prends mon sac, ajuste mon sweet à capuche et me
dirige vers les WC Je prends mon temps, je respire un grand coup, puis je
retourne dans la salle, direction la sortie. Pas de nouvelles du type. Je jette
des coups d’œil autour de moi. Pas de traces non plus de ma partenaire. Elle
n’est pas encore sortie, ou peut être déjà partie, déçue par mon attitude. Je
me sens désarmé, nu comme un nouveau-né dans défense. J’aime les sports de
combat, je ne serai jamais un bon guerrier.
Je m’aventure dehors. Il fait gris, un temps humide. Il va pleuvoir
dans pas longtemps. Quelques voitures sur le parking. J’avance lentement. J’ai
mené mon assaut du mieux possible. Ai-je gagné ?
Au même instant, une main m’agrippe l’épaule et m’oblige à me
retourner. Elle ou lui ?
Malgré sa taille plutôt modeste, le type me domine physiquement. Il
lâche son emprise mais m’intime de le suivre sans un mot. Ma partenaire sort.
Elle me cherche du regard, me trouve et reste incrédule devant la situation.
Elle mime de laisser tomber son sac pour venir à mon aide. Je lui fais
comprendre que je maîtrise totalement la situation. Elle ne saisit absolument rien
à ce que je fais.
Moi si.
L’homme m’amène un peu à l’écart. Ma partenaire nous suit du regard.
Il y’a une grosse berline noire aux vitres teintées garée dans un coin. L’homme
m’y conduit. La porte arrière s’ouvre. Je ne vois absolument pas le passager.
Juste une paire souliers brillants. Mon garde du corps m’invite à monter.
_ Je ne sais pas
si c’est de la magie ou quoi, mais plus jamais tu me touches
c’est compris ?
Puis avant que j’embarque dans ce qui pourrait être mon dernier
voyage, le type averti le passager.
_C’est lui.
Il est bien ce qu’il prétend. Il ne ment pas. Il m’a raconté des choses que moi
seul savais.
La porte se referme sur moi dans un claquement sinistre. Au loin la
fille avec qui je viens de passer les 4 derniers mois se demande encore qui je
suis. Je ne lui ai jamais donné mon nom ni révélé ce que je faisais. Nous
n’en avons pas fini elle et moi, je le sens. Je me suis entraîné comme un fou à la savate afin de rencontrer la personne assise à l’arrière
de la berline. C’est elle qui doit me guider vers ma muse.
Rien n’arrive pas hasard. Je vous l’ai dit, tout est pensé et contrôlé
depuis plusieurs vies…
Mis à part quelques coquilles, c'est une fois de plus très bon. Une gestion du rythme que j'aime, à suivre...
RépondreSupprimerMerci ! Au prochain week end !
RépondreSupprimerTrès bon chapitre !
RépondreSupprimerCe ping-pong incessant entre les personnages est très intéressant.
J'ai cependant eu un peu de mal avec le dialogue car on ne sait pas qui parle au départ.
Qui sont les occupants de la berline... Le mystère plane...
Vivement le chapitre 4 !
Merci ! Oui tu as raison, je vais essayer de faire attention à bien situer dans les dialogues. C'est un de mes soucis les dials !
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